CHAMBRE À GAZ,
ENFER SACRÉ DE FAUST
Mondher Sfar
Quel étonnant destin que celui de la «chambre à gaz» ! D'un simple dispositif d'hygiène, la voici transformée en instrument de mise à mort, et qui plus est, de mort massive, se chiffrant par millions de personnes. L'exploit ne s'arrête pas là. La «chambre à gaz» est vite transformée en un enclos de régénération raciale, lieu saint, fétiche, où se déroule le mythe des origines raciales et adoré comme tel. Voici que s'ouvre alors devant nous la question des concordances d'inspiration entre nationalisme racial juif et national-socialisme : la «chambre à gaz» apparaît comme le lieu de convergence des deux idéologies «ennemies». Mais elle s'avère être aussi le lieu mythique révélateur de leur genèse commune.
La controverse qui oppose les révisionnistes aux tenants de
la thèse du «génocide» des juifs dans les «chambres à gaz» des camps de
concentration hitlériens semble s'enliser de plus en plus dans les sables
mouvants de l'idéologie. Les faits réels ne servent plus qu'à étayer des
intérêts politiques et dans l'opinion publique le débat a cessé depuis
longtemps d'être historique pour n'y voir qu'un combat idéologique. Le
révisionnisme est de plus en plus repoussé dans le camp du racisme, de
l'antisémitisme et du nazisme. L'amalgame atteint son sommet quand on reproche
au révisionnisme de vouloir nier l'existence d'une politique nazie antijuive,
de minimiser les souffrances des victimes et de leurs familles, ou de nier l'
«enfer» du milieu concentrationnaire en période de guerre. D'un autre côté,
les tenants de la thèse du Génocide, terrorisés à l'idée d'un débat
historique public sur la véracité ou la plausibilité du Génocide, n'ont plus
eu d'autre choix, pour répondre aux multiples interrogations qui ont surgi au
sein même des milieux juifs les plus divers, que d'élever le Génocide à la
dignité d'un mythe reconnu et revendiqué comme tel le plus officiellement du
monde, et sur la foi de quoi on déclare qu'il est désormais interdit aux juifs
d'en douter et que tout questionnement à son sujet sera traité comme
«obscénité».
Cette évolution nous étonne d'autant moins que le fond de la question du
Génocide se situe somme toute sur le terrain idéologique avant même celui de
la critique historique proprement dite. Et, en effet, la thèse du Génocide est
fondamentalement une affirmation d'ordre idéologique, en ce sens que
reconnaître la possibilité de mettre à mort une «race», c'est reconnaître
que la «race» a une existence objective susceptible d'être objet
d'anéantissement. Le révisionnisme rejette à la fois l'idée et le fait du
Génocide comme impossibilités matérielles parce que le Génocide est surtout
une impossibilité idéologique, et il est une impossibilité idéologique parce
que la race est un concept mythique qui n'a de réalité que pour un esprit
mythique, non pour un esprit positif et scientifique. Tout crime sur une
«race» est un crime mythique, non pas par absence d'acte criminel mais par
absence de l'objet identifié comme «race» victime du crime. Une «race» ne
peut être mise à mort que mythiquement, car on ne peut mettre à mort un objet
mythique que mythiquement parlant. L'évolution récente de l'idéologie
génocidaire vers une mythologisation déclarée de l'Holocauste ne fait que
constater la réalité mythique effective du Génocide. Le débat historique
véritable avancé par le révisionnisme prend tout son sens avec la critique
idéologique du Génocide comme préalable à la critique proprement historique.
Clarifier le débat, c'est aussi déterminer le véritable enjeu de la question
révisionniste. Les tenants de la théorie génocidaire ont réussi à faire
passer dans l'opinion publique l'idée que la controverse fait opposer deux
camps bien distincts, d'un côté les juifs, de l'autre les non juifs. Cette
distinction est inappropriée et vise en fait à camoufler le vrai enjeu du
débat qui oppose deux camps irréductibles à l'intérieur du judaïsme, et qui
sont, d'un côté, les tenants d'un judaïsme nationaliste racial, de l'autre,
les protagonistes d'un judaïsme mosaïste universaliste. L'idée du Génocide a
été inventée par le mouvement juif racial dans le but de vaincre le judaïsme
européen émancipé et assimilé, en lui faisant croire que la vérité
éclatante du Génocide fait de la «race» juive une donnée incontournable et
qu'il serait vain de nier le fait racial juif en se comportant comme juif
émancipé.
Judaïsme nationaliste racial contre judaïsme émancipé, tel est le vrai enjeu
du révisionnisme. Le révisionnisme est d'abord une affaire juive, et c'est aux
juifs eux-mêmes d'assumer leur responsabilité dans ce débat où ils sont
directement mis en cause en tant que citoyens et en tant qu'humains.
La remise en question de la citoyenneté et de l'humanité des juifs émancipés
remonte à la fin du siècle dernier en Europe centrale, avec le développement
de l'idéologie raciale mystique et d'inspiration néo-romantique allemande au
sein des mouvements de jeunesse juive. Le nationalisme racial juif est né dans
ce milieu idéologique dont le mot d'ordre est la renaissance raciale völkisch.
Du côté allemand, l'idéologie aryenne s'est mise à la recherche d'une
identité qu'elle a cru perdre avec le développement industriel et le mode de
vie libéral bourgeois. Du côté «sémite», l'émancipation et l'assimilation
des juifs dans le milieu politique et social européen a été ressentie par les
racistes juifs comme une perte d'authenticité qu'ils ont cherché à restaurer
au moyen de la seule idéologie à leur portée, l'idéologie raciale mystique
völkisch néo-romantique.
Il serait intéressant de signaler ici la mise en garde faite dès 1898 par une
grande figure de la pensée juive moderne, Achad Ha'Am (U. Ginzberg), dans un
article intitulé «Nietzschéisme et Judaïsme» où il dénonce l'idéologie
«nietzschéenne» qui a submergé la littérature juive moderne de son époque
et «s'est emparée d'une partie de la jeunesse juive». Et de remarquer que
«La simple introduction d'une matière étrangère (dans le judaïsme) ne
suffit pas ; une assimilation de cette dernière à notre caractère national
doit précéder plutôt cette introduction» [1] . Le problème a été ainsi
clairement posé : il y a danger pour le judaïsme d'assimiler l'idéologie
romantique allemande. Et ce danger réside dans le contenu éthique de celui-ci
: la «volonté de puissance» qui ne se soucie pas des faibles et l'idéal du
«surhomme» contraire à la maîtrise de l'instinct animal, de l'aspiration à
la vérité, à la justice et à «tout ce que le judaïsme nous a implanté
dans le cœur» (Ibid. p. 242).
L'idéologie romantique allemande continuera de fait à inspirer en profondeur
la jeunesse et les intellectuels juifs autant qu'allemands. C'est dans ce vivier
que l'idéologie raciale nationale völkisch se développera. Les mouvements de
jeunesse nationalistes juifs et allemands ne se distingueront plus que par la
couleur de leurs drapeaux et leurs insignes, tout en étant chacun convaincu de
réaliser le rêve de son authenticité völkisch. Les partis politiques, quant
à eux, suivent le même chemin et recrutent leurs cadres dans les véritables
pépinières que constituent ces mouvements de jeunesse nationalistes.
L'idéologie est une, et il est difficile de dire qui des Allemands ou des juifs
- à supposer que cette distinction ait eu un sens - ont contribué le plus
à l'élaboration de ce qui s'appellera génériquement le national-socialisme.
Signalons à titre d'exemple l'apport au début du siècle du juif hassidique
Martin Buber de la théorie du Blut und Boden (le Sang et le Sol) qui
sera reprise par les nazis sans qu'il faille encore une fois ici nécessairement
parler d'emprunt qui aurait supposé deux entités, juive et aryenne,
distinctes.
Autre exemple, la contribution juive à la naissance du mouvement
national-socialiste hitlérien en Allemagne. Ce mouvement n'a pas vu le jour en
1919 avec l'apparition du Parti Ouvrier Allemand qui deviendra en 1921 le Parti
Ouvrier Allemand National-socialiste. Cette appellation de
«national-socialisme» a été le fait du Parti ouvrier sioniste Hapoël
Hazaïr se proclamant du Volkssozialismus , appellation originaire et
équivalente à National-socialisme . L'idéologie nazie proprement dite
a été de fait formulée pour la première fois par le juif sioniste Viktor Ch.
Arlosoroff dans son manifeste du Parti national socialiste juif, édité sous le
titre de Der jüdische Volkssozialismus (Le National-socialisme juif),
paru à Berlin en 1919, année même de l'adhésion d'Hitler au Parti Ouvrier
Allemand, et deux ans avant que ce parti n'ait pris son appellation national-socialiste.
Dans ce manifeste juif nazi, Arlosoroff a exposé tous les ingrédients
idéologiques dont s'inspirera le mouvement hitlérien : l'antiinternationalisme
et l'antibolchevisme : «Le principe national est le seul qui puisse rendre
possible la ligue inter nationes. Le socialisme cosmopolite a capitulé malgré
le succès momentané du bolchevisme», appelant pour la «lutte pour
l'existence» de la nation juive (p. 11), contre les partis se réclamant de
«l'héritage du mouvement assimilatoire des Lumières», mouvement imbu d'une
«aspiration obscure pour une humanité non raciale», au profit de la
Révolution nationale balayant l'ancien monde : «les Partis révolutionnaires
se dressent au sein des peuples sains en une opposition ardente à l'(ordre)
existant, dans une haine excitée contre tout l'ancien, pour l'écroulement de
tout ce qui est devenu» (p. 13). Pour Arlosoroff, ce nouveau socialisme
völkisch sera un tournant dans l'histoire aussi bien du socialisme juif que du
socialisme en général : «Ce socialisme juif représente un nouveau socialisme
non seulement dans notre vie, mais aussi dans le socialisme en général» (p.
71). L'on comprend, dans ces conditions, pourquoi Hitler, qui a souscrit à ce
programme idéologique, aurait été obligé d'utiliser pour son nouveau parti
l'appellation national-socialiste au lieu de celle, plus appropriée, de völkssocialiste
pour éviter manifestement tout malentendu gênant.
Désormais, l'idéologie raciale a organisé ses troupes en deux camps ayant
juré ensemble d'en découdre avec l'idéologie libérale humaniste et
universaliste. Pour les «aryens» comme pour les «juifs», le but sera de
fonder un nouvel ordre de société dont l'élément moteur est la race,
l'obstacle majeur à vaincre étant les juifs assimilés qui ont réussi à
prendre racine à l'intérieur de la société allemande en tant que citoyens
allemands de plein droit. La position de ceux-ci d'intégrés à la société
allemande fait d'eux des éléments intrus dangereux aussi bien pour la race
aryenne que pour la race juive.
Le judaïsme intégré à la société allemande serait, aux yeux des
nationaux-judaïques, une «solution» illusoire et temporaire à la question
juive. La vraie solution ne pourra être qu'une «solution finale» organisée
en trois étapes : 1) la constitution du judaïsme en race pure à l'instar de
la race aryenne, 2) sa «séparation» des autres races et, enfin, 3) son
émigration vers la Palestine. Ce fut là le programme de Theodore Herzl,
inventeur de l'expression «solution finale à la question juive» («endgültige
Lösung der Judenfrage») (in Der Kongress, article du 4 juin 1897).
L'alliance stratégique conclue entre le national-judaïsme et le
national-socialisme allemand ne s'est jamais démentie jusqu'à la fin de la
seconde guerre mondiale. Quand Hitler a pris le pouvoir, l'événement a été
salué par les nationaux-judaïques allemands comme une victoire définitive sur
le judaïsme assimilé et comme l'avènement d'une ère nouvelle qui allait voir
s'accomplir la solution finale à la question juive. Ces nationaux-judaïques se
sont alors engagés dans une politique de collaboration active avec Hitler pour
mener à terme cette solution finale. L'éclatement de la guerre a cependant
empêché la poursuite de celle-ci selon le programme initial. Les juifs sont
devenus des prisonniers otages de la guerre.
De fait, la prise du pouvoir par Hitler a marqué la fin de la mission du
national-judaïsme en Allemagne. Désormais, c'est le régime nazi qui a pris le
relais dans l'accomplissement des objectifs fondamentaux du national-judaïsme :
la dénaturalisation des juifs allemands et leur judaïsation forcée. Les Lois
raciales allaient officialiser et systématiser les revendications des
sionistes. L'alliance stratégique qui marque l'existence même des deux
mouvements juif et aryen a scellé le destin du judaïsme en Europe. Les
racistes juifs poussaient même vers l'affrontement, comme l'ont fait l'organe
du sionisme allemand, la Jüdische Rundschau , ou les écrits
incendiaires de Jacob Klatzkin, l'ami intime de Nahum Goldmann. Cette alliance
stratégique allait même trouver son couronnement dans le refus sioniste de
mener la campagne électorale contre Hitler aux côtés des autres juifs
allemands. Quand Hitler a accédé enfin au pouvoir, Robert Weltsch, chef du
sionisme allemand, n'a pas hésité à exprimer sa «fierté» et son sentiment
de «supériorité» et de «triomphe» devant les premières mesures antijuives
des nazis. Les sionistes ont véritablement délégué à Hitler le soin de
mettre fin à l'espoir nourri par le judaïsme européen depuis la Révolution
française de s'intégrer à la communauté humaine et civile européenne. Il
est tout à l'honneur du judaïsme libéral émancipé d'avoir combattu dès
leur apparition les sionistes et leur idéologie raciale nazie. Toute la
stratégie développée par le national-judaïsme a été centrée sur la remise
en question de l'émancipation juive en faveur d'une nouvelle identité fondée,
au nom de l' «identité» juive, sur l'idéologie völkisch.
Cette stratégie montre clairement que l'ennemi des sionistes n'a pas été le
nazisme, leur frère dans l'idéologie, mais le judaïsme émancipé. Le
sionisme s'est simplement servi des nazis pour leur faire faire le «sale
boulot» à leur place. C'est ce qu'affirme Nahum Goldmann, en des termes à
peine voilés, dans son Manifeste écrit en 1934 pour la convocation d'un
Congrès Juif Mondial (qui verra le jour deux ans après), où il constate qu'il
était «nécessaire» aux juifs d'avoir eu à expérimenter la «manière la
plus drastique et la plus tangible» avant d'arriver à la conscience de leur
unité raciale ; et que les «conditions psychologiques» n'arrivent à mener le
«processus d'unification» des juifs qu'à travers «toutes les difficultés
naturelles et concevables». Et Goldmann d'expliquer ces difficultés de
«travail pédagogique» que les dernières années ont «accompli», et il
poursuit : «La dégradation rapide et presque inconcevable dans son étendue de
la situation des juifs dans presque tous les pays, la mise en danger de
l'existence d'une grande partie du peuple juif, l'anéantissement de leurs
moyens d'existence les plus élémentaires et la négation de leurs droits de
vivre à travers la renaissance d'un mouvement antisémite démesuré, tout cela
a créé une situation où toutes les conditions pour la réalisation de l'idée
du Congrès sont réunies et où apparaît la possibilité de faire, contre
toute opposition, de l'unification d'au moins la majorité de la juiverie (Judenheit)
du monde une perspective proche et actuelle» [2] .
En confiant le «travail pédagogique» et la préparation des «conditions
psychologiques» aux nazis, Goldmann a pu désormais, et quelques mois seulement
après l'accès de ceux-ci au pouvoir, se consacrer au «travail politique» :
l'unification politico-raciale de la «juiverie» à travers le monde. Goldmann
sait que le judaïsme émancipé, la vraie «opposition» à ce projet
délirant, ne pourra résister longtemps à la logique de l'antisémitisme et à
la vocation de celui-ci de «rejudaïser» le juif émancipé. Goldmann se
trouve en fait aux commandes d'une stratégie de guerre qui aurait effrayé un
Clausewitz.
Sur le plan politique, plus Goldmann attaque le régime nazi, plus celui-ci
rabat du gibier dans le camp sioniste ; et sur le plan idéologique, plus il
combat l'antisémitisme, mieux il le réalise. Cette stratégie politique nous
montre la réalité de la lutte livrée par les nationaux-judaïques contre les
nazis. Il ne s'agit pas d'un combat au sens vrai du mot, mais d'une provocation
. 1) Loin de vouloir la disparition des nazis, ils les ont aménagés jusqu'à
leur accession au pouvoir, et ce n'est que le jour où ils y ont accédé qu'ils
ont organisé une campagne de propagande antinazie d'une rare violence dans le
but de radicaliser la politique antijuive du nouveau régime. Cela explique par
exemple la «propagande d'atrocités» (Greuelpropaganda) que les
nationalistes juifs ont provoquée durant les premiers mois du nouveau régime.
2) Loin de vouloir combattre l'antisémitisme, les sionistes ont poussé à la
réalisation de ses objectifs originaires : faire des juifs une race et faire de
cette race une communauté inassimilable et inintégrable, et dont les
intérêts spirituels, politiques et économiques doivent rester différents de
ceux du reste de l'humanité.
Il est désormais possible de voir plus clair dans le concept fondamental de Génocide
créé durant la guerre pour désigner l'œuvre criminelle imputée au régime
national-socialiste. Les développements antérieurs nous permettent de tracer
ici la généalogie de ce concept clé de Génocide. La doctrine völkisch
aryenne ou juive exige la restauration de la pureté raciale aussi bien sur le
plan biologique que culturel. Dans ce sens, tout ce qui peut mettre en péril
l'intangibilité du principe racial constitue un «crime contre la race». Cette
définition est celle-là même qui a été retenue par Raphaël Lemkin pour son
néologisme créé en 1944 : Génocide, et adoptée officiellement par
l'ONU, au nom de la communauté internationale. Ainsi, ce nouveau concept racial
ruine-t-il pour la première fois dans l'histoire du monde occidental les
fondements de l'idéologie occidentale libérale, de l'universalisme de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, de l'Humanisme de la
Renaissance et des Lumières du XVIIIème siècle. Mais l'ennemi immédiat visé
par ce nouveau concept de Génocide, c'est le judaïsme émancipé, émancipé
des préjugé raciaux moyenâgeux. Pour les racistes juifs, le judaïsme
libéral est coupable de Génocide biologique et culturel contre le judaïsme.
Une telle logique du Génocide implique l'inadéquation même du concept
vis-à-vis du nazisme. Tout d'abord, le régime national-socialiste a,
contrairement au judaïsme émancipé, respecté les distinctions de race à
travers même son hostilité raciale, une hostilité interprétée par le
sionisme comme une marque d'estime et de respect pour la racialité juive.
Ensuite, un projet d'extermination physique des juifs ne peut constituer un
crime aussi fondamental que celui que commet le judaïsme libéral par sa
négation idéologique de la racialité juive. L'extermination physique ne peut
porter atteinte au judaïsme en tant qu'entité raciale que sur le plan
matériel, non sur le plan moral ou idéologique. Loin de constituer un danger
pour le judaïsme racial, l'extermination peut même contribuer à le fonder, et
ce, selon deux modalités.
Premièrement, l'extermination peut constituer une preuve théorique -
négative - de l'existence de la race. Cette possibilité a été
effectivement exploitée systématiquement par le judaïsme dès la prise de
pouvoir par Hitler et c'est grâce à elle que le judaïsme libéral a basculé
dans le camp de l'idéologie völkisch, surtout à partir de la fin de la
guerre.
Seconde modalité : l'extermination physique peut constituer l'acte de fondation
mythique de la race en faisant de la mise à mort un sacrifice de type cosmique
ou encore une régénération shamanique. Dès que les bruits ont commencé à
courir vers 1942-1943 sur le sort «fatal» des juifs d'Europe, le terme d'Holocauste
est né [3] . Terme ambigu, certes, mais il annonce clairement une expérience
supranaturelle que le judaïsme était censé vivre. La fin de la guerre et les
Procès de Nuremberg achèvent de consacrer le Génocide comme expérience
fondatrice de la «race» juive enfin reconnue par l'Occident après plus d'un
siècle et demi d'assimilation. Le Génocide marque alors la renaissance de
l'idéologie raciale qui se promet d'être, cette fois-ci, «douce».
Comme tout nouveau produit supranaturel, la nouvelle «race» juive a cherché
à construire sa mythologie. Le mythe du caractère biologique de la race a
été construit sur le mode de la dissection bioraciale. En s'attaquant au corps
du juif pour le disséquer biologiquement et le déconstruire, l'aryen a prouvé
expérimentalement et «scientifiquement» la racialité biologique du juif. En
dépeçant le corps du juif en cheveux juifs, dents juives, graisse juive, cuir
juif, savon juif, fumée juive, etc., l'aryen a mis entre les mains des
nationalistes juifs le jeu de Logo qui leur a permis de reconstruire «le»
juif.
De même, le mode de mise à mort lui-même participe à cette œuvre de régénération.
Tuer un juif avec une balle dans le corps ou la pendaison ne peut constituer un
meurtre racial. Le mode de mise à mort doit faire partie du «rituel» du crime
racial. Toute la thèse génocidaire repose sur ces présupposés mythiques.
L'aphorisme en vigueur est : sans «chambre à gaz», point de Génocide. La
mise à mort par le gaz est un Génocide par excellence, non pas parce que les
«chambres à gaz» tueraient plus massivement que toute autre technique - ce
qui est loin d'être prouvé - mais parce que ce sont les cellules biologiques
«juives» qui apparaissent être visées et spécifiquement «traitées» par
le gaz. Le gaz tue ce qui est juif dans le juif. Le gaz agirait spécifiquement
sur le juif, comme le ferait un pesticide sur telle ou telle catégorie
d'insecte. C'est ainsi que la «chambre à gaz» est devenue de plus en plus la
pièce essentielle de l'idéologie génocidaire en tant que preuve de
l'existence d'un crime spécifiquement antijuif, comme si n'importe quelle autre
arme aurait été moins spécifiquement antijuive, ou que la «chambre à gaz»
n'aurait pu servir que contre des juifs. Il est remarquable que la littérature
génocidaire n'envisage l'hypothèse de l'usage des «chambres à gaz» par les
nazis contre des non juifs qu'à titre exceptionnel et dénie la destination
spécifique des vraies «chambres à gaz» comme installations conçues pour la
désinfection hygiénique et non pour la désinfection raciale.
Ce sont là autant d'éléments constitutifs du mythe qui servent à fonder l'unicité,
l'incomparabilité, l'incommensurabilité, etc. du Génocide. Mais
l'explication première à cette unicité revient à la nature du phénomène
génocidaire en lui- même en tant que re-fondateur et régénérateur völkisch
de la race, ce qui n'était manifestement pas le cas du génocide arménien,
cambodgien, etc.
Désormais, le Génocide acquiert une valeur théologique d'une force et d'une
ampleur comparables aux mythes fondateurs de toute religion. Mais ici, il n'est
guère question de péché originel ouvrant la voie à l'historicité - on a
assez vite rejeté l'idée de l'Holocauste, trop proche de la dialectique
chrétienne du péché-rédemption - mais plutôt d'un authentique remake
du mythe faustien dans sa version nietzschéenne. Les petits groupes de la
jeunesse allemande juive de la fin du siècle dernier, férus de l'idéologie
ambiante du «surhomme», de l'Umwertung aller Werte (la transformation
de toutes valeurs) et de la «volonté de puissance» ne soupçonnaient pas
qu'ils jouaient la première scène de la tragédie du Héros romantique
allemand et qu'ils allaient réussir à la mener à terme avec plus de
conviction, plus d'intelligence et plus de bonheur que leurs camarades
«aryens».
Le prophétique Achad Ha'Am a prévenu, en vain, ses coreligionnaires contre
leur renonciation à la fidélité à Dieu et leur conclusion d'un pacte avec le
Démon. Croyant devoir réaliser l'idéal nietzschéen en rêvant du Volk juif
et de Sion, le judaïsme confia l'accomplissement de cette tâche aux forces
infernales des purificateurs des races. Faust a été enchaîné à Méphisto ;
il a beau condamner l'œuvre de son nouveau génie, il sait que celui-ci a
travaillé et travaille encore aujourd'hui pour lui. Faust est devenu l'ombre de
Méphisto, son double. Mais au moment où Faust croit avoir enfin retrouvé son
identité - qu'il a cherchée au fond d'une «chambre à gaz» et non dans les
enseignements de la Thorah et de ses Prophètes - au moment où le juif a
retrouvé Sion-le-Boden et sa Race-le-Blut, son aliénation est à
son comble, son identification avec l'idéologie «aryenne» est accomplie et
son divorce d'avec sa vocation messianique universaliste est consommé. Tel est
le tragique de Faust : sa victoire est sa défaite.
Mais Faust sait aussi qu'à l'origine de sa victoire il y a une trahison
scellée par un pacte diabolique. Le juif de l'Holocauste est un être
travaillé par la mauvaise conscience dont il ne peut se débarrasser qu'en la
retournant contre l'Autre. Là où il jette son regard, il voit la figure de son
mauvais génie. L'Humanité entière prend figure pour lui de Méphisto, parce
que Méphisto est en lui. Se regarder lui-même dans la glace est devenu pour
lui un calvaire insupportable.
La «chambre à gaz», lieu cosmique de la genèse du juif de
l'Holocauste, est entourée d'un interdit sacré. C'est là où le Diable a fait
de lui un être à son image : une race, l'Autre de l'Humanité. C'est là où
le juif a cru retrouver son identité. La «chambre à gaz» est devenue un lieu
aussi insupportable que la glace dans laquelle il se mire. Elle est l'Enfer
sacré qui a scellé le destin de Faust à Méphisto. Elle est le lieu même de
l'Interdit, là où l'Evénement eut lieu. La «chambre à gaz» est là où,
pour accomplir son Acte, Méphisto prononce la formule sacralisatrice : Hier
ist kein Warum (Ici on ne demande pas pourquoi) [4].
La «chambre à gaz» est l'Innommable, «or, l'Innommable, c'est Dieu dans la
religion juive» [5]. La «chambre à gaz» a été à l'origine d'un «hiatus
inscrit dans la nature du monde» (Ibid.). Cette rupture dans le cours
cosmique du monde se fait dans la Douleur/Jouissance comparable à «la
jouissance qui s'empare des mystiques quand, saisis par Dieu, ils le voient et
fusionnent avec lui» (Ibid., p. 153). C'est alors que, dans la «chambre
à gaz», l' «horreur pure est proche de la jouissance pure. Du moins, l'une et
l'autre ne sont-elles pas sans rapport ; même si l'idée nous est
insupportable» (Ibid.). Quand Faust et Méphisto se mettent à dépecer
le juif pour le tuer cellule après cellule au moyen du gaz, c'est un acte aussi
jouissif que douloureux, «même si l'idée nous est», à nous êtres humains,
«insupportable». La fornication dans la douleur est fondatrice, comme tout
acte cosmique, de l'Être. Mais que l'on ne s'y trompe point, il n'y a là rien
d'obscène. L'obscène vrai est plutôt, nous explique Claude
Lanzmann, celui qui demanderait le pourquoi de ce qui nous paraîtrait l'absolue
obscénité, car «il y a une obscénité absolue du projet de comprendre» (in Hier
ist kein Warum, op. cité, p 279). Faust est encore une fois scandalisé par
sa propre image renvoyée par l'Autre. La logique faustienne est d'une
implacable rigueur ; elle ne recule devant rien. Faust s'érige en gardien
jaloux de l'Enfer sacré où il accomplit son Œuvre. N'y ont accès que ceux
qui répètent après lui la formule sacramentelle : «Hier ist kein Warum».
Mais Faust sait aussi que l'Histoire travaille contre lui,
que les forces qu'il a déchaînées ne peuvent être arrêtées par une formule
aussi magique que celle de «Hier ist kein Warum». Faust sait que la négation
porte sa propre négation et que le refus du pourquoi entraîne aussitôt cette
non moins légitime interrogation : «Pourquoi refuser le pourquoi ?». A cela
il répond avec la même sérénité : on doit refuser aussi bien ce «pourquoi
du refus du pourquoi» (Lanzmann, ibid.). Le refus du pourquoi et du
comment et de ses interminables questionnements relègue la raison humaine au
musée des «obscénités». Au Crépuscule du Dieu Yahvé succède le
Crépuscule de la Raison. Faust est arrivé au terme de son destin.
La boucle est bouclée. Ahad Ha'Am l'a, en vrai Prophète, parfaitement reconnue
et prévue il y a à peine un siècle. Il est encore temps pour le judaïsme de
renoncer à la chimère d'une identité aussi illusoire que contre nature et de
retrouver sa vocation messianique universelle, celle que lui a indiquée la
Thora et les Prophètes. Il doit renoncer à l'adoration fétichiste de la
«chambre à gaz», comme il a renoncé jadis à l'adoration du Veau d'Or. Cette
aventure avec Méphisto, il la partage avec l'Aryen qui eut, lui, comme mauvais
génie un Méphisto... juif.
L'Aryen et le Juif, ombres mythiques parmi les mythes, se retrouvent tour à
tour Méphisto et Faust. C'est peut-être là le véritable enseignement de la
Tragédie. L'Homme a quelque chose du Diable qui est authentiquement humain.
C'est une raison suffisante pour cesser de jouer aux personnages du Mythe, et
retrouver l'Humanité qui ne porte d'autre masque que celui de sa peau : un
masque déjà suffisamment tragique par lui-même...
[1] |
«Nietzscheanismus und Judentum», in Ost und West, 2ème année, 1902, p. 152. |
[2] |
Der Jüdische Weltkongress, Seine Aufgaben und Ziele , (Le Congrès Juif Mondial, Ses tâches et ses buts), Genf, Paris 1934, p. 7. |
[3] |
Un des tout premiers usages du mot «Holocauste» se trouve dans une publication du Congrès Juif Mondial : «World Jewish Congress (British Section) : National Conference Oct. 23rd and 24th , 1943. Report of the Executive Officers and Proceedings, London 1943», p. 11. |
[4] |
Primo Levi, inventeur de cette expression, l'explique comme règle d'or enseignée par les SS d'Auschwitz aux déportés arrivant sur le Lieu, expression reprise à son compte par Claude Lanzmann dans un article du même intitulé paru in La Nouvelle Revue de Psychanalyse , «Le Mal», n° 38, automne 1988, reproduit in Au Sujet de Shoah, un Film de Claude Lanzmann , Belin, Paris 1990, p. 279), aussitôt reprise par Faust pour perpétuer sa nouvelle Alliance. |
[5] |
Elisabeth Huppert, Voir (Shoah), in Au Sujet de Shoah , op. cité, p. 150. |
Revue d'Histoire Révisionniste, n° 1, mai-juin-juillet 1990, pp 38 à 50
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